Accueil Culture Musiques

Les Belges de Tango 02 à l’assaut du Carnegie Hall

Quatre instrumentistes belges et leurs chorégraphes, tous spécialistes du tango dansant, se sont produits lundi dans l’un des temples mondiaux de la musique classique. Une prestation inattendue, une découverte applaudie. Article réservé aux abonnés
Reportage - Journaliste au pôle Culture Temps de lecture: 1 min

Envoyé spécial à New York

New York, 7e avenue, ce 17 février. La journée a été radieuse, mais ce soir ça va pincer : -2°C lorsque s’ouvrent les portes du mythique Carnegie Hall, il fera jusqu’à -8°C cette nuit, les sans-abri se sont réfugiés dans le métro. Mais dans les coulisses de la salle de récital Weill, il y a comme un coup de chaud. Vous le sentez bien, le petit coup de pression ? Sous le regard intimidant des aînés qui s’y sont produits avant eux – Isaac Stern, Toots Thielemans, Ella Fitzgerald ou Duke Ellington – ce soir ce sont les quatre instrumentistes du groupe belge Tango 02 qui jouent à Carnegie Hall, et qui plus est, ils y introduisent la danse, rarissime sur cette scène. On va danser le tango au Carnegie ? Mieux : dans une fusion jazz et musique contemporaine, le pari des Belges est de créer, par le dialogue des corps et instruments, un tango inédit, moderne et exigeant, qui porte leur griffe.

Pour Pato Lorente, Pieter Baert, Benoît Leseure et Ignaas Vermeiren, comme pour le couple de danseurs argentins Cristina Cortés et Cristian Taffarello intimement associés à leurs créations, la soirée va être dense : après nonante minutes de Bach, Debussy, Poulenc, Liszt ou Saint-Saëns exécutés avec brio, ils ont trente minutes montre en main, y compris leur mise en place et leur sortie de scène, pour convaincre l’auditoire new-yorkais. « Je me sens comme au jour de mon mariage », lâche le compositeur et bandonéoniste Pato Lorente, « lorsque j’avais dû acheter mon costume le matin même de la cérémonie ». Bref, le bonheur sous pression. Mais comment fait-on pour se mettre dans un pareil pétrin ?

Merci LinkedIn

Tout a commencé au printemps 2024 par une petite annonce sur LinkedIn, un concours international « Sound Espressivo », organisé par un chef d’orchestre new-yorkais. Pour les lauréats, la perspective était de pouvoir se produire au Carnegie Hall, rien moins : le mythe ! Il fallait cependant produire une vidéo et… payer une petite inscription. Escroquerie ? Ce n’était pas exclu, mais Tango 02 dispose déjà d’une vidéo : Pato se démène depuis plusieurs années pour que la formation, essentiellement destinée à faire danser le tango et à se produire dans les milongas, développe en parallèle ses propres compositions, sa créativité particulière où instruments et chorégraphies réinventent un tango moderne.

Un premier disque, Por Eso, a d’ailleurs été enregistré sous label néerlandais, puis présenté à Flagey en novembre 2022 avec les créations chorégraphiques de la danseuse argentine Cristina Cortés et de son partenaire Cristian Taffarello. Le mélange des musiques et danses originales fonctionnait à merveille, l’événement a été capté, ne pourrait-on pas proposer un des titres de cette vidéo aux New-Yorkais ?

C’est ainsi que neuf mois plus tard, quatre Belges et deux Argentins se retrouvent non seulement finalistes mais lauréats d’un concours qui leur fait traverser un océan. Et ce dimanche 16 février, fini de rire : Tango 02 et ses danseurs débarquaient à New York, avec ces trop longues files à l’immigration qui ont juste laissé le temps au contrebassiste Ignaas Vermeiren de réceptionner, dans le hall de son hôtel sur Broadway, l’instrument loué à l’un des meilleurs luthiers de la ville, Kolstein (Long Island). Est-ce bien les cordes demandées ? Le diapason est-il en ré ou en mi-bémol ? Et la touche, comment Ignaas va-t-il s’y adapter ? Pilier du groupe depuis trente ans, Ignaas ne se sépare jamais de sa contrebasse. Mais cette fois, pas question de lui faire traverser l’Atlantique. Avec la contrebasse, même les taxis sont déjà tout un cirque. Mais le luthier Kolstein a fait du bon travail, Ignaas est content.

« Un son juste dingue »

Pieter Baert, lui non plus, n’est pas venu avec son piano à queue et pas question de louer. Pour ce professeur à l’académie de musique de Berchem-Ste-Agathe, le suspense va se prolonger jusqu’au lendemain, quelques heures avant le lever de rideau. Sur quel instrument va-t-il jouer ? C’est là qu’il y a le premier coup de chaud, vers 15 h, lorsqu’enfin Tango 02 et ses danseurs peuvent répéter, une seule et unique fois (à nouveau vingt minutes et pas une de plus), leur mise en place et découvrir le son de la salle Weill.

Monter sur cette scène, c’est comme tâter la terre battue de Roland-Garros ou le gazon du Maracanã : quelle est l’acoustique du Carnegie Hall ?

« J’ai hâte de voir comment ça sonne », confiait le violoniste Benoît Leseure, Rennois installé en Belgique. « Dans ces grandes salles, l’acoustique est comme un bon instrument, le son est juste dingue. » Pour le reste, « je n’ai pas peur : avec toute l’expérience accumulée, je sais très bien que je ne peux pas m’écrouler et jouer n’importe comment, sauf si je fais une chute de tension. Je ne me laisse pas gagner par le stress. Je suis décidé, je vais donner la meilleure version de moi-même ». Mais pour Pieter, pianiste et dernier arrivé dans la formation Tango 02, il y a tout de même un enjeu supplémentaire : il va enfin découvrir l’instrument qu’on lui impose. La scène se dévoile, crème et rideaux verts, lustres immenses… Sourire de Pieter : c’est un Steinway & Sons. Bien sûr, dira-t-on. Mais ce « bien sûr » est de ceux qu’on dit après coup.

Vingt-trois minutes. Ce lundi soir, la prestation de Tango 02 au Carnegie Hall a duré 23 minutes, devant une salle qui, soyons honnête, n’était pas comble. Mais une audience de New-Yorkais mélomanes, comme on les aime, et qui ont réservé aux Belges des applaudissements nourris et soutenus. Pourquoi ? Leur pari était simple : cinq morceaux, pas le temps d’en dévoiler davantage, et de la danse exclusivement sur les première, troisième et cinquième compositions, avec à chaque fois un changement de costume et d’ambiance. Un premier morceau d’emblée très enlevé, Regreso, qui a emporté la salle, où les prestations de Cristina et Cristian incarnaient la mélodie, donnaient à comprendre les logiques de l’écriture du tango. Puis un deuxième morceau, Progreso, confié aux seuls instruments, rappelant la pureté classique des compositions et de leur interprétation. Puis retour aux chorégraphies avec Brisas, en y ajoutant cette fois le caractère expérimental, novateur des créations. Etc. Un mouvement de balancier proposait au public d’écouter la musique par les gestes, puis de décrypter les gestes par la musique.

Lundi soir, il nous a semblé que plus d’un New-Yorkais quittait la salle avec la légèreté d’un pas de danse.

Les « milongas », un succès loco, loco

Le succès de Tango 02, spécialisé dans le tango dansant, illustre l’engouement que connaît cette danse au Benelux et dans le monde.
Journaliste au pôle Culture Temps de lecture: 2 min

Les lieux et évènements où on danse aujourd’hui le tango sont innombrables, le succès des milongas est fou. Il suffit pour s’en convaincre de consulter le calendrier très bien fourni d’un site comme milonga.be : ces samedi et dimanche 22 et 23 février, on danse le tango à la Pianofabriek de St-Gilles, au Barrio de Tango à Bruges, au Tea Time Tango d’Izegem, à la salle Barazza d’Ekeren, à la Tangueria de Molenbeek, sans oublier l’un des clubs les plus anciens de Belgique, La Mi’Lune, à Liège. Et c’est tango toute l’année.

Pourquoi ? Il y a bien sûr l’élégance du mouvement, l’attrait d’une forme physique maintenue, mais le tango argentin offre surtout un dialogue subtil entre les partenaires et la musique. Le secret du tango ne se trouverait pas dans l’exploit acrobatique, mais davantage dans une certaine retenue propre aux Porteños. « Il faut comprendre que ce sont des étapes que les danseurs franchissent durant l’apprentissage », explique Pato Lorente, bandonéoniste de Tango 02. « Au début, on a cette idée européenne qu’il faut montrer qu’on a pris des leçons de danse. Après un certain temps, on comprend que l’important, c’est la connexion. On danse à trois : les deux partenaires, et celui qui joue la musique. Arrivé à ce niveau-là, où on réagit au moindre toucher, on n’a pas besoin de faire des grandes figures, pas besoin d’exubérance. Ce peut être très agréable de faire une petite marche, très doucement, mais avec de petits accents. A Buenos Aires, le tango est beaucoup plus calme et d’ailleurs, il n’y a pas de place pour l’exubérance : chaque couple a un mètre carré, et tout se passe là-dedans, dans ce mètre carré qui bouge peu à peu avec la masse des danseurs. Et pas question de lever le pied, hein ! »

Le fil info

4
Sport Actualités
Voir tout le Fil info

Aussi en Musiques

Voir plus d'articles

Sélectionné pour vous

Le meilleur de l’actu

Inscrivez-vous aux newsletters

Je m'inscris

À la Une